6- Le Bon Conseil




Le 2 octobre 1901, l'abbé Esquerré installe le patronage du Bon Conseil qu'il a créé six ans plus tôt au 26 avenue de Saxe dans les locaux que les Carmélites, interdites en France, ont quittés en raison de la lois anticléricale du 1er juillet 1901 du gouvernement Combes, heureuses toutefois de savoir que leur établissement soit désormais loué au profit d'une oeuvre chrétienne. Les religieuses de Notre Dame qui gardaient le couvent des Oiseaux, 86 rue de Sèvres en avaient fait autant le 26 juillet, de même le 10 août les religieuses du sacré Cœur, 33 boulevard des Invalides.


Les toits du Carmel devenu Bon Conseil,
à droite l'immeuble du 2 rue Léon Vaudoyer,
au milieu au fond la chapelle des Clarisses de Saxe
 Cette installation sous les toits du carmel s'était faite non sans difficultés, se rappelle Juliette Gallet, 98 ans, dont le père - propriétaire d'un magasin de décoration rue Oudinot - était un paroissien assidu de Saint François Xavier, les autorités ecclesiastiques d'alors étant réticentes à l'idée de laisser des enfants jouer dans un cloître, un lieu par essence voué au silence et au recueillement. Il paraîtrait que, pendant leur délibération, les paroissiennes tournaient à l'extérieur dans la rue en récitant des dizaines de chapelet : leurs voeux furent exaucés ! Et Mme Gallet de relier aussitôt ce souvenir de ses parents au suivant : "le grenier était un fouillis indescriptible d'affaires abandonnées par les religieuses. Y figurait sur un mur cette formule: rien n'arrête celui que Dieu invite à marcher" !

Comment rester dans les lieux dont l'abbé Esquerré avait seulement obtenu le bail de l'adjudicataire du carmel ? Pour acquérir les bâtiments et une partie des terrains non bâtis (la grande cour actuelle et l'emplacement du 63 avenue de Ségur), des paroissiens aisés et généreux de Saint François Xavier créèrent  la  Société Anonyme Immobilière des Nouveaux quartiers du VIIe et du XVe  (renommée en 1930 Société immobilière de l'Ecole Militaire ou S.I.E.M.: sa nature juridique évoluera dans  les années 70, voir en bas de page). En 1908, Mlle Roland-Gosselin, adjudicataire du Carmel dont la superficie avoisinait les 27.000 mètres carrés, leur concéda les biens demandés, environ 10.000 m2. Puis le reste de la propriété des carmélites, soit la surface de la rue de Lapparent actuelle, les angles Saxe/Ségur et Saxe/Pérignon (non achetés par la SIEM en raison de la forte valeur de leur emplacement) fut vendu. Joint aux autres terrains de l'îlot Saxe Ségur Suffren Pérignon  (c'est-à-dire le côté impair de l'avenue de Suffren entre la rue Pérignon et l'avenue de Saxe, et le côté pair de la rue Pérignon depuis l'avenue de Saxe à l'avenue de Suffren dont les immeubles vétustes furent alors mis à bas), il permit la création d'un vaste lotissement de 18.000 m2 autour de trois rues nouvelles, percées en 1909 :  Lapparent, Vaudoyer, Heredia.

Le patronage utilise donc désormais les bâtiments pour toutes ses activités, cloître et chapelle y compris.

Le cloître, immuable
La chapelle, intérieur














Toutefois des constructions sont vites réalisées :
•    les écuries du Carmel laissent la place dès 1909 à une salle de gymnastique.
•    en 1912, est inaugurée une grande salle de fêtes de 1.000 places (!) avec une scène tout équipée et un autel dissimulable pour pouvoir y célébrer la messe …

   

          Fête sportive 1928

Des années durant, célébrations religieuses et activités ludiques, culturelles ou sportives pour les jeunes se succèdent dans ces lieux , ainsi que dans les lieux  acquis par le Bon Conseil pour les colonies de vacances d'été, tels la maison Ker Maria de Plougasnou (dès 1905) ou le chalet du Chazelet en Oisans à la montagne. Elles mêlent des jeunes de tous milieux sociaux, car jusque dans les années cinquante, ce quartier du 7e  compte encore nombre d'enfants de commerçants, d'artisans en atelier, de patrons de petites usines, ainsi que  des gardiens d'immeuble, souvent immigrés de toute l'Europe, la France étant  devenue une terre d'immigration depuis la saignée de 1914-1948.


Trois prêtres remarquables contribuèrent à faire du Bon Conseil l'âme du quartier, un lieu incontournable pour les familles qui l'environnent - qu'elles soient catholiques ou non. Impossible de ne pas les mentionner : 



- l'abbé Esquerré (1863-1931), séminariste à Saint Sulpice où le père Lafuye insistait sur ''la pensée de faire du bien aux jeunes gens'', ordonné en 1887,  vicaire à Issy puis à Saint François Xavier, fut le fondateur de l'oeuvre de Notre Dame du Bon Conseil, et animateur de celle-ci de 1894 jusqu'à sa mort. Le square mitoyen de l'église Saint François-Xavier où se trouve le banc, autour duquel il réunit  pour la première fois quelques jeunes de l'école communale pour les emmener promener, porte désormais son nom. Le patronage eut un premier local rue Général Bertrand en 1895, puis s'installa boulevard Garibaldi où il disposait de deux pièces et d'un oratoire, espaces vite insuffisants face au succès que rencontrait ce jeune prêtre de 31 ans. Le premier numéro du bulletin L'écho du patronage du Bon Conseil paraît en mars 1898.


Roger Derry

- l'abbé Roger Derry (1900-1943), apprenti tapissier chez le décorateur Emile Gallet de la rue Oudinot, adhérent du BC remarqué par le père Esquerré, ordonné en 1930, d'abord vicaire à Vitry sur Seine, il fut directeur-adjoint  du BC de 1934 à 1941. Sportif, musicien, doté d'un très grand charisme, éducateur né, il entrainait les jeunes. Aumonier militaire en 1940, résistant de la première heure, il fut arrêté en octobre 1941, déporté à Dusseldorf en décembre, puis décapité à Cologne le 15 octobre 1943. Son nom a été donné à une très courte rue allant du côté pair de l'avenue de Suffren à la rue du Laos dans le 15e arrondissement.



- l'abbé Paul Guyot (1912-1977),  responsable du BC de 1945 à 1970. C'est sous son magistère que fut entrepris dans les années soixante la construction du nouveau Bon Conseil, l'oeuvre de sa vie ainsi que celle de son adjoint à cette époque le père de Seilhac. Certains des bâtiments antérieurs à l'installation des carmélites étaient d'une vétusté extrême et devenaient dangereux. Les temps avaient changé, il fallait satisfaire de façon fonctionnelle aux besoins nouveaux d'une maison de jeunes, sans oublier de dégager des sources de revenus durables permettant de financer l'entretien du nouvel ensemble immobilier. Au grand chagrin de milliers d'anciens du Bon Conseil  très attachés au lieu, il fallait tout détruire.

Le Bon Conseil vers 1960
                               Le Bon Conseil, façade rue de Lapparent 

 Mais comment financer la reconstruction ? Ecoutons, François Delage, un des architectes s'entretenant
 avec Pierre Lebrun, le  30 novembre 2000,  pour sa thèse Le complexe du monument : les lieux de culte catholique en France durant les trentes glorieuses. 
 Source :  http://theses.univ-yon2.fr/documents/lyon2/2001/lebrun_p

"Pendant trois ou quatre ans, durant les années 1958-59, avec le directeur d’alors, l’abbé Paul Guyot, nous avons réfléchi à la reconstruction de la maison des jeunes dont les bâtiments étaient désormais inadaptés et se délabraient. Je le connaissais bien et j’étais devenu très ami avec lui. En effet, j’avais fait beaucoup de camps de vacances avec lui et je m’étais occupé de la remise en état des colonies de vacances que la maison possédait au bord de la mer en Bretagne. L’abbé Paul Guyot n’était pas maître de toutes les décisions car la maison était gérée par un conseil d’administration qu’il fallait convaincre. La décision a été prise lorsque ce conseil d’administration a admis que l’opération était finançable en vendant les droits de construction de deux immeubles situés l’un sur l’avenue de Saxe et l’autre sur l’avenue de Ségur. Ce sont ces deux immeubles qui ont quasiment payé l’intégralité des autres bâtiments réalisés sur le reste de l’emprise foncière".


L'îlot Saxe Ségur Lapparent Heredia et le futur BC :
en diagonales espacées les immeubles hors BC construits en 1911-1912,
en diagonales serrées les terrains cédés pour les futurs immeubles 63 Ségur (A) et 26 Saxe (C),
en blanc les immeubles B1 et B2 de la Siem au dessus des 2 étages dévolus au BC

Aussi commença-t-on par mettre à bas les bâtiments du Carmel.


"Nous avons eu le temps de peaufiner le programme et le projet car le conseil d’administration de la Société Immobilière de l’Ecole Militaire avait très peur de se lancer dans l’aventure. Pour cela nous avons passé de très nombreuses et très bonnes soirées dans le bureau que l’abbé Paul Guyot avait dans l’ancien carmel. Nous avions décidé de faire des bâtiments de qualité et, sans faire de luxe, d’utiliser des matériaux solides.
Au moment de la réalisation, on m’a doublé par un confrère, ancien de la maison, un peu plus ancien dans le métier. Celui-ci - Paul Henry - a assumé la direction des travaux. Mon travail a aussi été un peu supervisé par René Coulon un autre ancien de la maison également architecte. René Coulon avait une grosse agence bien organisée. Il a servi de caution vis-à-vis des promoteurs en leur garantissant le bonne marche du projet. A cette époque-là j’avais en effet trente-cinq ans et il fallait donner confiance aux promoteurs qui montaient les opérations immobilières de l’avenue de Saxe et de l’avenue de Ségur. Enfin, Roger Faraut, architecte et ancien de la maison lui aussi, s’est chargé des divers aménagements intérieurs''.
Afin de dégager des ressources financières durables, deux surélévations destinées à la location d'appartements étaient aussi prévus en étage au dessus et aux extrémités de l'immeuble bordant la rue de Lapparent



Une fois les anciens bâtiments du carmel abattus, on excava le sol pour tous les équipements souterrains prévus : les deux salles de conférences, le gymnase, la chapelle, les parkings des immeubles limitrophes 63 Ségur et 26 Saxe que construirait ensuite la SAF. Puis les édifices començèrent à s'élever.




Pendant les trois années de travaux, le BC réduisit ses activités mais continua de fonctionner, notamment grâce aux baraques temporaires au coloris rouge aménagées dans la cour actuelle. On y accédait par l'avenue de Ségur.





François Delage continue d'expliquer son projet.
"Le parti retenu concernant la chapelle a été de la disposer en sous-sol afin qu’elle n’occupe pas autant d’espace que l’ancienne. Lorsque j’ai vu démolir la chapelle du 19ème siècle, je dois avouer que j’ai été ravi en pensant à l’espace qui était ainsi libéré.

 A gauche du parvis d’entrée de la chapelle se trouve un oratoire traité dans un esprit de sobriété. Cet oratoire ne comporte aucun ornement excepté une vierge bourguignonne qui est un cadeau. Sur le lambris de bois de l’un des murs latéraux de ce lieu de prières sont gravés les noms de nombreux anciens de la maison tués lors des différentes guerres. Le tabernacle a été conçu par le sculpteur René Bertoux.

A droite du parvis, un escalier d’une seule volée donne accès à la chapelle située au sous-sol. Une fente a été ménagée sur la partie supérieure du mur latéral gauche de cet escalier. Celle-ci permet d’avoir une vue panoramique et plongeante sur la nef. Cette vue sur la chapelle annonce la descente vers la chapelle.

L’escalier, au delà de sa fonction de circulation, devient ainsi un espace de transition qui incite les fidèles à se préparer à pénétrer dans la nef. Nous avons essayé de concevoir cet escalier afin qu’il soit aussi doux que possible. Le sol de la chapelle descend en pente douce vers le choeur. Cela a permis de donner du volume à la chapelle et de réduire la place de l’escalier. Cette pente permet également d’offrir à l’ensemble des fidèles une bonne visibilité de l’autel. Avec le père Guyot, on a imaginé de concevoir la chapelle pour que la célébration des offices se déroule face aux fidèles.

L’autel éclairé par un puits de lumière - mi-naturelle, mi-artificielle - et le siège de la Présidence sont ainsi disposés face au peuple. Le tabernacle réalisé également par René Bertoux, fermé par une porte de cuivre martelé, est encastré dans le mur du fond à la gauche de l’autel. L’ambon, légèrement surélevé, est placé à sa droite.

Le père Paul Guyot craignait que des autorités ecclésiastiques lui reprochent ces innovations. Il est nécessaire de rappeler que Vatican II a commencé en 1962. Cette année-là le chantier de la chapelle battait son plein. Le projet avait été arrêté en 1960 et l’avant-projet était encore antérieur. L’Eglise n’a approuvé officiellement ce type de dispositif qu’après la promulgation des décrets issus du Concile qui s’est achevé en 1965''.


Une fois que le plan de la chapelle a été mis au point, nous avons demandé son avis à R. Faraut qui avait déjà construit plusieurs églises. Après l’avoir approuvé, il a dessiné l’ensemble du mobilier.

Il a ensuite exprimé le souhait d’animer les murs de la nef qui devaient être réalisés en béton brut de décoffrage. Il a ainsi conçu une série d’empreintes en creux aux motifs abstraits ou empruntés à la symbolique chrétienne. Ces murs de béton ont été coulés par panneaux. On a divisé ces panneaux selon deux registres en hauteur afin de tenir compte des limites de la technique de béton vibré de l’époque. En effet, il n’aurait pas été possible de vibrer des panneaux de six mètres de hauteur d’un seul tenant. Il n’existait pas alors de béton à prise plastique comme aujourd’hui. R. Faraut a dessiné l’autel avec les mêmes motifs que ceux employés pour les murs latéraux, mais cette fois-ci en les traitant en relief.

Il a également dessiné le motif en pavés de verres colorés qui laissent, à gauche du choeur, pénétrer un peu de la lumière de la cour. C’est également lui qui a conçu l’ambon, le pupitre, les sièges et les bancs. Le plafond est composé de grands panneaux de bois dont R. Faraut a souhaité teinter une bande avec de la lasure rouge. Ce dispositif souligne la distinction entre la partie dévolue au sanctuaire de celle destinée aux fidèles. L’éclairage est doux.

Sur la gauche du sanctuaire, sous l’orgue, on trouve une petite salle complémentaire qui peut être ouverte sur l’autel ou fermée grâce à un système de cloisons coulissantes".

L'inauguration du Nouveau Bon Conseil eut lieu le dimanche 22 mai 1966.

Au fait, qu'est-ce que ''l'A.s.i.e.m'' ?  Il s'agit du nouveau nom de la S.i.e.m., la société anonyme qui historiquement était propriétaire des bâtiments jusqu'à la reconstruction du BC en 1963-1965, transformée dans les années 70 en association.  Ce changement fut rendu possible grâce à une disposition d'une loi privilégiant "l'intérêt social'', défendue par Jean Foyer, le garde des Sceaux du gouvernement Pompidou de 1962 à 1967. Constatant qu'à l'image de la S.i.e.m., nombre de sociétés immobilières avaient été pareillement constituées au début du XXe siècle pour sauvegarder des patrimoines religieux à but socio-éducatif, et craignant que les actionnaires descendant des fondateurs ne conservent point le désintéressement de leurs aïeux et ne souhaitent recouvrir leur part de propriété de sociétés pouvant atteindre une très grande valeur, il fit adopter des dispositions permettant à ces sociétés d'acquérir le statut d'association à but non lucratif. C'est ainsi qu'utilisant ces dispositions, la S.i.e.m. est devenue l'A.s.i.e.m. vers 1979.